Et Manchette, là-dedans ?

La référence à Manchette se lit sur la quatrième de couv' de Je suis un terroriste. On peut voir aussi quelques références à l'intérieur du bouquin, notamment à Nada. Car celui-ci fut le seul bouquin - du moins le seul correct - à évoquer l'ultra-gauche terroriste française. Mais dans les années 1970. Il fallait actualiser cela, ce qui veut dire tout changer.

Au-delà du thème et de la fin de mon livre, la référence à Manchette peut sembler prétentieuse, inutile ou erronée. Stupide, dans tous les cas.

Mais je suis d'abord un lecteur, un bouffeur de romans noirs et de films noirs. D'ailleurs, tout auteur de romans est d'abord un lecteur, ou alors il n'est rien du tout.
Comme lecteur, j'aime les livres de Manchette. Comme lecteur, je suis aussi frustré par les polars que je trouve en librairie. J'ai écrit Je suis un terroriste pour qu'il existe au moins un polar actuel qui soit à la hauteur de mes exigences de lecteur. C'est une ambition similaire à celle de Manchette; c'est sans doute le principal point de comparaison.



D'abord, il y a assez de polars qui montrent des flics, des enquêtes bien balancées ou des serial-killers, de même qu'il y a assez de romans "blancs" qui évoquent les souffrances d'un "je" ou d'un couple. Tout cela est fini, à moins peut-être d'y injecter de la bonne grosse matière et une écriture actuelle.

Ensuite et surtout, les descendants du néo-polar ressassent les mêmes thèmes que dans les années 1970 ou 1980 (la méchante extrême droite, l'exploitation subie par les gentils ouvriers à cause des méchants patrons), sans voir que le monde a évolué. Parler des ouvriers exploités, c'est ignorer les millions de gens qui subissent beaucoup plus durement ces évolutions, les millions de précaires et de chômeurs qui sont devenus le prolétariat. Parler des ouvriers exploités, c'est un propos totalement daté, propre aux néo-polardeux embourgeoisés.
Or le roman noir a pour propos de plonger dans la boue. Celle de ces précaires misérables, celle aussi de la province. Le parisien pauvre existe, mais il n'est qu'une faible composante de cette boue.

Un langage nerveux s'impose également. Sans psychologie, sans ronronnement descriptif. Avec du rythme, des images frappantes, une structure simple et forte, une précision de chaque mot employé. Cette exigence littéraire, que l'on associe généralement à la littérature blanche, est ma priorité. Sans rire, j'ai relu et corrigé quinze fois chaque phrase, chaque virgule, par refus de la feignantise et de l'autosatisfaction. En cela, Je suis un terroriste est plus proche de Paul Claudel que de Fred Vargas.



Il s'agit d'être réaliste, actuel, donc partiellement amer, car plongé dans la boue.
C'est procéder comme Manchette, non parce qu'il est un dieu, mais parce qu'il est l'un des rares auteurs sérieux de polars, donc l'un des rares auteurs sérieux en règle générale. C'est réveiller le polar de son embourgeoisement, en le salissant.
Me référer à Manchette peut néanmoins sembler ridicule, puisqu'il écrivait des bouquins pleins de références, convaincu par exemple que le roman noir n'avait rien à ajouter depuis 1950. J'en suis conscient, puisque j'en viens à le parodier, avec mes personnages encore plus paumés que les siens. Un exemple: je donne l'impression de parler des armes de la même manière que lui (en nommant le SIG Sauer ou la Steyr-Mannlicher). Mais mes personnages commettent des erreurs d'amateurs quand ils évoquent leurs noms ou leurs aspects techniques.

Ce qui reste, c'est décidément l'exigence d'écriture, si rare, et l'exigence d'actualité. Joy Division et Nine Inch Nails au lieu du jazz, par exemple, puisque Joy Division et Nine Inch Nails sont notre boue musicale.
C'est une exigence de lecteur, qui me fait maintenant retourner à Shakespeare et Dickens, plutôt que lire DOA, car j'y trouve plus de moyens pour mon prochain bouquin.